Nous prenons tous constamment des décisions. Parfois, cela nous semble totalement naturel. D’autres fois, elles se posent en véritable dilemme. Et régulièrement, nous commettons des erreurs.

Alors, qu’est-ce qu’une bonne décision ? Quelle part donner à la méthode vs. l’intuition ? Quels biais inconscients peuvent nous égarer ? Y a-t-il un « art de décider » ?

LES BIAIS COGNITIFS DANS LA DÉCISION

Les sciences comportementales, et notamment les travaux de Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie), ont largement diffusé le concept des biais cognitifs, ces « erreurs » qui nous écartent des choix dits « rationnels ».

Les milieux d’affaires n’ont pas tardé à s’emparer de ces enseignements. D’abord pour influencer consommateurs et clients (c’est aussi vieux que le commerce et ses techniques de vente / marketing), mais aussi pour tenter d’améliorer les décisions des dirigeants. De leurs choix dépendent souvent la position concurrentielle future, les résultats financiers, le maintien de l’emploi et parfois même la survie de l’entreprise.

Il existe une littérature abondante sur les biais cognitifs, et je n’en citerai que quelques exemples ici, parmi les plus connus, et que O. Sibony regroupe en 5 typologies :

  1. Les biais de modèle mental, qui influencent nos hypothèses de départ
  • biais de confirmation: tendance à expliquer les faits par des histoires cohérentes avec nos croyances et à négliger les faits qui les contredisent
  • biais du champion: attribution du succès ou de l’échec aux talents de l’individu, sous-estimant l’effet des circonstances
  • biais rétrospectif: tendance à juger d’une situation passée avec des données disponibles ex post
  1. Les biais d’action, qui nous font entreprendre ce que nous ne devrions pas faire
  • biais du planificateur (ou excès d’optimisme) : confusion entre volontarisme managérial et optimisme sur des facteurs non contrôlables, qu’on retrouve très souvent par exemple lors de l’élaboration des budgets
  1. Les biais d’inertie, qui nous font pécher par omission
  • biais d’ancrage: influence irrationnelle des premiers chiffres disponibles lors de décisions numériques
  1. Les biais de groupe, qui amplifient les erreurs
  • le « groupthink» : tendance à taire les désaccords au sein d’un groupe de décision
  1. Les biais d’intérêt
  • self-serving bias: adhésion sincère à des points de vue qui favorisent vos intérêts

TOUT N’EST PAS BIAIS

Néanmoins, il ne faut pas voir les biais partout : si une décision est jugée « mauvaise » ou se solde par un échec, n’oublions pas l’incompétence, l’inattention, la malhonnêteté…

Nos biais sont incorrigibles, mais pas ingérables. Ils se renforcent mutuellement, et aucune erreur sérieuse n’est imputable à un biais unique.

Tenter de se « dé-biaiser » soi-même est généralement voué à l’échec : en prendre conscience ne suffit pas non plus à les corriger, et il n’est pas facile de savoir contre quel biais lutter.

En revanche, le collectif peut aider les uns à corriger les biais des autres, et la méthode (ou processus) de décision pourra éviter que le collectif ne devienne « groupthink ».

UNE BONNE DÉCISION EST UNE DÉCISION BIEN PRISE

En général, les organisations appliquent des règles de bonne décision quand l’erreur n’est pas permise. Par exemple, les astronautes sont entrainés à appliquer les procédures, pas à suivre leur instinct. Les chirurgiens utilisent des check-lists rigoureuses et standardisées pour réduire l’incidence des complications.

Alors comment prendre une bonne décision dans les organisations où les risques ne sont pas aussi vitaux ?

Commençons par lâcher l’illusion du contrôle total : le succès vient des bonnes décisions, mais aussi de la chance et de la prise de risque. Le biais du survivant (tendance à tirer des conclusions à partir d’un échantillon excluant les échecs) nous le fait souvent oublier. « Il ne faut pas juger l’action des hommes à ses résultats » (Bernoulli).

On ne peut généralement pas juger de la qualité d’une décision isolée, mais on peut juger une méthode de décision. Un bon processus de décision fait la différence : une bonne décision, c’est avant tout une décision bien prise ! Le résultat de la décision dépendra de bien d’autres facteurs sur lesquels nous n’avons pas de contrôle. Une étude portée sur 1048 décisions d’investissement a démontré que le processus est 6 fois plus différenciant que les analyses !

ANALYSER MOINS, DÉBATTRE PLUS !

Il ne s’agit bien évidemment pas d’opposer processus vs. analyse : les 2 sont nécessaires. Mais pour une décision bien prise, prenez le temps de poser des questions et de débattre : quels pourraient être les risques ? Quels pourraient être des points de vue ou des informations qui viendraient contredire mon projet ? Quels sont les critères les plus déterminants ?

Plusieurs biais tendent à nous faire juger une décision comme bonne ou mauvaise en fonction uniquement des résultats de cette décision. On peut néanmoins se demander : une décision est-elle bonne ou mauvaise, ou est-ce la façon dont elle a été prise ?

La décision, au moment où on la prend, est un choix entre 2 potentiels. Aucun des 2 n’est prédéterminé, ils ne sont pas déjà écrits, ni bon ni mauvais. Une décision est un choix fait à un moment donné, dans un contexte donné, avec l’information et nos filtres du moment. Nous pensons alors qu’il est le meilleur possible.

Si l’on considère de façon binaire qu’il y a une bonne et une mauvaise décision, cela signifie qu’on donne à cette décision la responsabilité de nous rendre heureux ou malheureux. Alors que la manière de prendre et d’accompagner la décision est plus importante que la décision elle-même.

Finalement, la façon de voir une décision ne nous amène-t-elle pas à changer notre façon de voir les décideurs ?

CHANGER NOTRE IMAGE DES DÉCIDEURS

Les entreprises l’ont compris : le « bien-décider » peut devenir pour elles une vraie source d’avantage concurrentiel. Dans le monde incertain où nous évoluons, quelle compétence pourrait être plus précieuse que la capacité à s’adapter en prenant les meilleures décisions possibles ?

Et ceux qui prennent de meilleures décisions seront aussi de meilleurs leaders. Si les dirigeants rencontrent parfois des difficultés dans leurs efforts pour adopter de meilleures méthodes de décision, le principal obstacle est dans leurs têtes : c’est l’image d’Épinal du chef, campé en héros que le doute ne traverse jamais. Il prend la mesure de la situation, il dit « voici ce qu’on va faire », et on suit sans discussion. Quelle image substituer à celle du leader héroïque ?

Réapprendre à décider, c’est oublier le mythe du super-héros. C’est choisir une autre image du leader, celui qui a foi en son équipage, qui accepte et partage sa fragilité, renonce à ses dogmes et accepte d’être contredit et de se tromper. Mais quand viendra l’heure de trancher, il prendra de bien meilleures décisions.

Alors, question de coach: quelle est votre posture face à une décision?

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